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COP 30: ne plus se tromper de cible

, 15:42 - Lien permanent

 

13 novembre 2025,

Pour la trente et unième fois depuis 1995, des représentants de la majorité des pays vont se réunir devant la presse mondiale pour déplorer le changement climatique, ses désastres, et leur coût croissant. Deux semaines de visibilité, de combat et d’espoir pour les activistes, deux semaines de discrétion et de pressions sans limite pour les lobbyistes, deux semaines d’affichage, de pragmatisme et de greenwashing pour les décideurs politiques.

Au final, quelques petites avancées bien médiatisées vont alimenter l’espoir d’aller un jour vers la réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES). En attendant, les émissions augmentent, le désastre s’amplifie, les perspectives s’assombrissent. Il y a un contraste saisissant entre trentre ans d’efforts pour rassembler ces décideurs, et le peu de résultats pour la planète. Les émissions de GES n’ont baissé qu’au moment du COVID.

Les COP sont-elles encore utiles ?

Que la quasi-totalité des dirigeants mondiaux se réunissent pour évoquer la plus grave crise de l’humanité est un point positif. Une crise systémique ne peut se régler que par l’implication de tous. En cela, les COP sont incontournables.

Un autre point positif est la médiatisation mondiale du problème climatique, qui favorise la prise de conscience des populations s’informant correctement, populations malheureusement en baisse face au nivelage cognitif des réseaux. L’impact médiatique des COP se répercute bien mieux vers la jeunesse et l’éducation.

Mais ce sont bien les seuls effets positifs. Pour la majorité de la planète, il n’est qu’un seul mot d’ordre: business as usual, le climat passera après.

Résultat sans appel: les émissons de GES augmentent chaque année.

Les dernières mesures climatiques devraient pourtant nous mettre en garde: l’objectif de limiter la hausse de température globale à 1,5° est désormais derrière nous, à peine dix ans après son évocation comme objectif des Accords de Paris.

Mauvaises nouvelles du climat, ne rien cacher.

Le GIEC parle maintenant de plus de 4° de réchauffement global à la fin du siècle, dans le scénario le plus pessimiste, celui qui colle à notre comportement actuel. Une catastrophe. Pire, les scientifiques nous avertissent que ces prévisions ne prennent pas en compte les inévitables effets d’emballement. Ces terribles rétroactions positives sont susceptibles d’advenir autour de 2 degrés de réchauffement, autrement dit, demain, avec des accélérations du réchauffement dont on ne peut pas mathématiquement modéliser l’ampleur, tellement les impacts possibles sont complexes et interdépendants. On étudie désormais le scénario de la planète-étuve.

A moins d’un cataclysme météoritique, volcanique ou atomique, ce que nous émettons et ce que nous avons déja émis continuera à réchauffer l’atmosphère pendant des siècles. Ainsi, nous ne devons plus cacher que nous n’échapperons pas, dans ce siècle, à des bouleversements majeurs, croissants et simultanés. Des catastrophes qui n’épargneront personne. Montée des eaux, sècheresses, canicules, ouragans, inondations, proliférations biologiques, désastres agricoles, avec leurs conséquences durables sur nos écomies, nos infrastructures, nos modèles politiques et sociaux. Il ne s’agit pas de catastrophisme, mais de réalisme. Que pouvons-nous faire ?

Au niveau climat, avec une politique mondiale adaptée, nous pouvons seulement limiter la casse pour réduire la violence des effets, tenter de ne pas franchir des points de bascule.

Au niveau médiatique, nous devons associer ce réalisme avec la désignation des bonnes cibles, avec la description des stratégies d’atténuation: un changement de système, idéologique, technique, politique et social.

Le modèle des COP en échec

L’impuissance des COP à influer sur les émissions de GES est donc de plus en plus génante, et menace même la pérennité des COP dans le futur. Les raisons de l’échec sont pourtant simples. Non seulement les COPs génèrent une politique de petits pas, mais de plus, ces petits pas sont non-contraignants. Ce ne sont que des engagements, qui peuvent être remis en question au mandat politique suivant, comme le montrent Trump, Milei et leur cohorte de climato-dénialistes.

Certes, des sommes de plus en plus grandes sont allouées à des stratégies ponctuelles  d’adaptation, ou mieux, d’atténuation, mais sans prendre en compte que nous sommes dans un problème systémique, qui nécessite des décisions systémiques, c’est-à-dire à l’échelle planétaire. Des décisions majeures dans lesquelles tout le monde travaille dans la même direction. Il faudra probablement attendre un cataclysme d’ampleur planétaire pour qu’on commence enfin à changer de logiciel.

En attendant le désastre

Le simulateur de vie à 50° à Paris

Conscientes des enjeux, des grandes villes, comme Paris, informent les populations sur les températures d’été à plus de 50°, d’ici 25 ans, alors que les centrales nucléaires et d’autres infrastructures essentielles seront arrêtées à cause de la chaleur. Amis Français, réfléchissons bien aux conséquences de périodes à 50° et plus, mais sans climatisation, sans réfrigération de nourriture, sans infrastructures, sans communications, en raison de nos 67% d’électricité nucléaire et de nos 14% d’électricité hydraulique (chiffres Enedis 2024): nos productions énergétiques, industrielles ou agricoles, nos services, seront gravement impactés ou arrétés par de telles canicules.

Ailleurs, on déménage déjà des capitales et des mégapoles en prévision de la montée des eaux. On peint des rues, des routes et des toitures en blanc. On détourne des fleuves. Dans les esprits comme dans les porte-monnaies des participants aux COP, le « sauve-qui-peut » de l’adaptation commence à effacer les réflexions sur le long terme de l’atténuation. Tout ce qu’il ne faut pas faire pour préserver un avenir sans “mode survie”.

Viser les responsables du changement climatique

Le constat d’impuissance ou d’inutilité issu des COP souligne clairement que les dirigeants ne visent pas les véritables responsables du changement climatique: les débats et les demandes de résolution ont tendance à cibler prioritairement la production ou l’utilisation industrielle des ressources énergétiques et minières. C’est-à-dire la production de GES en amont.

Mais rares sont les résolutions qui ciblent la consommation, c’est-à-dire l’idéologie de la croissance, le moteur du capitalisme, le moteur de la consommation effrénée de ressources énergétiques, minières et naturelles.

Encore plus rares sont les résolutions qui ciblent les milieux économiques et financiers, ceux qui manipulent les individus par la publicité pour les transformer en consommateurs impulsifs et aveugles.

Encore plus rares sont les résolutions qui visent les vecteurs de consommation à outrance que sont les régies publicitaires Méta (maison-mère de Facebook, Instagram, Whatsapp, Messenger, etc…), Tik Tok ou Alphabet (maison-mère de Google, Android, Gmail, Youtube, etc…), les Amazon ou Alibaba, et tous les autres opérateurs du Marketing Technology Landscape.

Enfin, qui osera dénoncer, au sein d’une COP et au plus haut niveau de débat, la fuite en avant technologique liée à la robotique et à l’IA, génératrices d’un doublement, ou triplement de la consommation des ressources énergétiques et minières du numérique dans les prochaines années ?

Cibler la croissance

Tant que l’idéologie de la croissance sera l’objectif premier des dirigeants et de leurs populations, aucune COP ne sera en mesure de freiner la libération des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Militer pour le climat est donc plus que jamais militer pour un changement de paradigme, contre la culture de la croissance qui imprègne toute notre vie politique et notre vie publique. C’est ce que font les peuples autochtones lorsqu’on les accueille sur une COP, mais avec quels résultats ? Leur message est caricaturé, broyé par le système, broyé par les médias, qui d’ailleurs sont eux-mêmes de plus en plus dépendants de la publicité, ou appartenant à de grands groupes économiques et industriels.

Ne pas désespérer

Je suis conscient qu’un tel article génère un sentiment d’impuissance, d’amertume, éventuellement de désespoir, face à un monde qui s’effondre en pleine lumière sous nos yeux. Ne transformons pas ces sentiments en inaction, en violence ou en dépression. Nous pouvons réellement faire quelque chose, même dans cette période où le combat politique est en crise face à la montée globale des fascismes et des autocraties.

Si nous avons de moins en moins de prise sur les décisions macroscopiques, sauf à s’unir en protestant massivement dans les rues, nous avons toujours la possibilité d’agir au plus près de nous, à l’échelle locale, familiale, amicale, professionnelle, culturelle, d’impulser des zones de bien-vivre et de dialogue démocratique. C’est beaucoup plus facile, et bien plus gratifiant.

Du global au local

Le changement de paradigme auquel nous appelons, actuellement sans visibilité à l’échelle globale, peut se concrétiser autour de nous. C’est en montrant la vigueur et la validité de nos actions locales que nous associerons de plus en plus de gens autour de nos valeurs.

La crise climatique, la crise des ressources et la démocratie, 2/2

, 08:10 - Lien permanent

Le citoyen au coeur de la résilience.

Résumé de l’épisode précédent:

Bien que tous les voyants climatiques soient au rouge, que les ressources s’épuisent, que les crises s’amplifient, tout se passe comme si nous essayions d’occulter, consciemment ou inconsciemment, que le monde s’enfonce peu à peu dans un état d’urgence permanent, dans lequel on sait que la démocratie sera bafouée.
Mais tout n’est pas perdu. Si l’on n’a pas toujours réussi à influer par le haut sur les nations ou le monde, il reste réaliste d’agir à l’échelle locale ou à l’échelle de territoires partageant des communs. De l’éco-hameau jusqu’aux bio-régions, en passant par le jardin partagé ou la salle associative, nous voyons que des groupes motivés arrivent à construire des enclaves écologiques et citoyennes, sur des principes de démocratie directe, capables de mieux résister à l’effondrement en cours. L’utopie voulant que ces enclaves s’interconnectent un jour afin de proposer des visions macro-territoriales.


Prendre et distribuer le pouvoir local

Agir dans le secteur associatif ou professionnel permet de créer un début de tissu résilient. C’est la voie la plus facile pour relier un ensemble d’acteurs motivés dans l’action directe, mais elle permet rarement de pousser une politique systémique sur un territoire important. En revanche, un collectif d’associations, regroupé dans un quartier, une rue, une résidence, un tiers lieu, un éco-hameau, une vallée, par exemple, possède déjà un poids politique plus important, car capable d’influer sur les autorités locales.

Démocratie représentative ou démocratie directe ?

Votation communale à Appenzell en Suisse, 2019

Prendre le pouvoir par l’élection municipale est toujours une bonne opportunité de changement local malgré de nombreuses limites. Bien que ce soit une tâche de plus en plus ingrate, elle peut aboutir à des résultats lorsque des équipes motivées sont capables de concilier les échéances électorales courtes avec des projets systémiques ayant un impact positif. Il y a cependant un écueil lorsqu’on veut y intégrer une gestion réellement démocratique, c’est que cette gestion consomme un temps considérable: il faut informer les citoyens avec un niveau de vulgarisation suffisant, les amener à participer, les former techniquement et juridiquement à certaines thématiques, les accompagner dans la connaissance des indicateurs et enjeux territoriaux, puis organiser des dispositifs de consultation pour amener leur parole et leurs choix jusqu’à l’acte décisionnel. Mais le temps est précieux devant les grandes crises qui se précisent. Il n’est pas certain que le modèle représentatif traditionnel ne soit pas plus « rentable » pour certains changements radicaux.

Prenons un exemple comme la décision de piétonisation d’une rue, ou de la sanctuarisation d’un espace vert en zone inconstructible. En mode « représentatif », un conseil municipal pourra acter en quelques mois, mais au risque qu’une nouvelle équipe d’un mandat suivant remette en question la décision. En revanche, en mode «  démocratie directe », la décision issue d’un vote citoyen ne sera pas facilement remise en cause par une éventuelle nouvelle équipe, mais peut prendre deux années pour être actée.

La taille importe

L’expérience montre que la taille et la densité du territoire à gérer influe directement sur les possibilités de démocratie réelle. Il est immensément plus facile d’implémenter démocratiquement un changement important sur un petit territoire peu peuplé et socialement homogène que sur une population urbaine importante et diversifiée. Lorsqu’il n’y a pas de possibilité de contact réel entre décideurs, opérateurs et citoyens, le système d’administration ne peut être que technocratique, ce qui oblige à une hiérarchisation détaillée du pouvoir, donc à une centralisation, à un modèle pyramidal.
Or, un citoyen ne peut pas s’impliquer efficacement ou durablement dans des causes communes s’il ne fréquente pas les décideurs et les opérateurs. Les petites communes sont donc privilégiées pour la démocratie directe. En espace urbain, la taille du quartier, la dizaine de milliers d’habitants grand maximum, pourrait être une échelle raisonnable pour implémenter un début de démocratie réelle, malheureusement, en France, aucune autonomie décisionnelle ne peut encore légalement s’opérer à cette échelle. On ne pourra créer de la démocratie directe que si l'on réduit la taille des unités territoriales, à l'inverse de ce qui s'est fait dans les dernières décennies (regroupement de quartiers, de communes,  de régions). Si les découpages n'évoluent pas en ce sens, cela sera aux citoyens de rescinder les territoires en entités cohérentes, sur des structures associatives.

Les réfractaires

Certains territoires particuliers sont inaccessibles au changement par les voies traditionnelles dans le système électif actuel. Le clientélisme y est roi, avec une telle emprise économique, administrative et sociale, que les clans décisionnels se renouvellent naturellement dans les mêmes familles, les mêmes modèles politiques, les mêmes réseaux économiques protecteurs.
Dans ces zones verrouillées, le changement ne peut s’effectuer qu’en doublant les mécanismes économiques, culturels et sociaux, notamment par des stratégies d’auto-organisation associative, rendant caducs ou inopérants les systèmes traditionnels. C’est la stratégie du contournement. Cette stratégie oblige à rechercher une grande autonomie financière, ce qui construit un modèle extrêmement libre et résilient, à l’inverse des modèles subventionnés, vassalisés et liés aux temporalités des mandats.

La démocratie réelle en application

En France, les différentes expériences de démocratie réelle que nous voyons émerger depuis deux décennies sont issues de toutes petites communes. On y voit toutes sortes de modèles, de la liste élue autour d’une tête de liste qui sera maire et mettra en place des instances participatives, jusqu’à un modèle très horizontal: la liste citoyenne, même dotée d’une tête de liste, est élue sans maire désigné, la désignation réelle se faisant démocratiquement après l’élection, avec éventuellement changement régulier du maire pendant le mandat. Les possibilités d’intervention citoyennes sont de tout ordre: du budget participatif (souvent partiel), des commissions citoyennes, des consultations citoyennes généralistes jusqu’aux possibilités de proposition ou même d’établissement collectif d’une politique générale. Toutes utilisent des outils informatiques de gestion et de communication, dont certains logiciels dédiés à la démocratie directe.

Commissions de Budget Participatif, Département de Dordogne-Périgord, 2019.

L’émergence des listes citoyennes

Les listes citoyennes se sont multipliées aux élections municipales françaises de 2020, avec près de 400 listes en piste. La majorité de ces listes ne s’est pas appuyée sur des partis, mais sur des programmes à grande dominante écologique et citoyenne, intégrant des possibilités de démocratie directe. Une soixantaine de ces listes ont été élues. Leur fonctionnement peut être basé sur des éthiques précises, comme le propose une des chartes disponible sur le « marché des outils de démocratie directe » ou construit in-situ en fonction des motivations des collectifs originels.

Voici quelques communes utilisant la démocratie directe. Les liens donnent accès à des textes fondateurs de ces dispositifs, et qui en expliquent la genèse et l'originalité.

Trémargat (Côtes-d'Armor),
https://tremargat.fr/municipalite.html

Hanches (Eure-et-Loir) https://hanches-citoyen.org/

Vaour (Tarn) https://vaour.fr/petit-historique-liste-citoyenne/

Castanet Tolosan (Haute-Garonne) https://www.castanet-tolosan.fr/citoyenne/presentation-de-la-democratie-participative/les-instances-de-la-democratie-participative-791.html

Kingersheim (Haut-Rhin)
https://www.ville-kingersheim.fr/Democratie/Les-Etats-Generaux-Permanents-de-la-Democratie-EGPD/Les-conseils-participatifs

Ungersheim (Haut-Rhin)
https://www.mairie-ungersheim.fr/la-commune/les-commissions-participatives/

Grande Synthe (Nord),
https://www.ville-grande-synthe.fr/ville-participative/engagement-citoyen/

et bien d’autres encore.

En observant ces communes, dans lesquelles tout le monde peut connaitre facilement, il apparait que le facteur humain est une clé de réussite essentielle pour accompagner le processus démocratique.

Par où commencer ?

Pour des élections communales, une liste citoyenne ne s’improvise pas au dernier moment, et doit s’appuyer sur un socle humain préalable, utilisant déjà des principes participatifs. Prenons l’exemple de la liste citoyenne de Chambéry, qui a commencé ses travaux de démocratie directe en 2017 pour finalement être élue en 2020. Il est également possible de se faire aider par des mouvements dédiés à la démocratie directe. En effet, plusieurs initiatives associatives ou privées, se sont montées en France dans ces dernières années pour accompagner des collectifs vers une candidature de ce genre. Mais monter un collectif et être élu ne suffit pas. La réussite d’un projet politique citoyen reposera sur le désir et l’aptitude de la population à participer à des débats. C’est là que sont les grandes difficultés.

Restaurer des possibilités de dialogue de visu.

Après plus de 10 ans de réseaux sociaux qui nous ont non seulement désocialisé mais également désactivé de la possibilité démocratique*(Voir l’article « comment les réseaux sociaux détruisent la société »  ), après une pandémie qui a réduit nos rencontres et nos déplacements, la première étape est de restaurer la possibilité d’un débat efficace entre les citoyens. Le défi est d’être ouvert à la parole de l’autre, de comprendre sa complexité, et d’enclencher un processus de réflexion personnel qui permette de redevenir émetteur. A ce moment-là, nous pouvons retrouver un sens critique, et redevenir des acteurs de la cité.

Il faut pour cela reconstruire un contact tangible entre les citoyens, en les exfiltrant de tout écran, à toute occasion, même pour des temps courts. Chaque possibilité de rencontre en chair et en os est à prendre. Tout événement qui concerne nos sens -arts et culture, nature, sport, patrimoine, loisirs, solidarité, activisme, formations- est le support idéal de cette réhabilitation physiologique et cognitive, afin que la perception de l’autre, de la communauté, soit maximale.

Mieux, pour retrouver des moments de convivialité réelle dans des événements publics, il sera souvent nécessaire d’avoir le courage d’interdire ou d’inactiver tout média numérique individuel connecté, les seuls médias autorisés servant à la captation à fin d’archive. En quittant les réseaux, nous ne serons plus poussé vers la division, la catégorisation et la haine ( Tim Kendall, ex-directeur des algorithmes d’engagement chez Facebook, 2020: « Pour faire plus de profits, nous poussons près de trois milliards d’utilisateurs à la division, au tribalisme et à la haine »). Désarmer le numérique permettra de comprendre à nouveau l’intérêt de la chaleur humaine, l’intérêt de la construction individuelle de la culture, l’intérêt du partage de particularismes collectifs dans une relation commune à un territoire particulier, du local au global.

Restaurer le savoir-faire du débat.

Quant au débat, à la tenue des débats, il est nécessaire de réapprendre (boomers) ou d’apprendre (millénials) des formes anciennes de rhétorique qui ont fait leur preuves, mais aussi de nouvelles formes d’organisation de débat, très usitées depuis une quinzaine d’années dans les milieux appliquant la démocratie directe, dont de très nombreuses organisations d’activisme écologique ou social. Ces méthodes sont à la fois basées sur un fonctionnement horizontal et égalitaire, mais également sur des techniques précises de gestion de la parole.

Gestuelle destinée aux grands groupes, utilisée dans le monde entier depuis les années 2010[/caption]

Lorsque la convivialité sera revenue, lorsque le désir de démocratie réelle sera acté par un savoir-faire en application, il sera possible de passer à l’étape suivante, la connaissance du territoire, préalable à toute proposition et toute décision.

Décrire le territoire

On ne peut pas faire de démocratie directe avec des citoyens ne connaissant pas les enjeux, les ressources et les lacunes territoriales. Mettre en place des outils d’observation, d’analyse et de vulgarisation des données locales est indispensable. Dans les petites communes, cette information circule naturellement, ou bien se retrouve facilement. C’est pour les villes et les plus grands territoires qu’il faut concevoir une stratégie particulière, qui peut également être participative: la connaissance des indicateurs territoriaux peut être menée à l’échelle citoyenne, par la mise en place d’un réseau de contributeurs consacrés à leur détection, leur analyse, et leur vulgarisation.

Se spécialiser

Chaque citoyen a des affinités avec certains domaines plus que d’autres, pour toutes sortes de raisons. Un des mécanismes de la réussite d’un processus participatif est d’amener le citoyen volontaire à devenir suffisamment savant sur un ou plusieurs domaines conjoints, dans l’objectif de pouvoir devenir acteur ou référent au sein d’un système décisionnel ou informatif collectif. Les milieux associatifs, éducatifs, médiatiques ou scientifiques intègrent souvent des personnalités de ce genre, hors du champ politique traditionnel, et hors du champ économique.

Créer un corpus de citoyens-veilleurs, de citoyens-experts et de citoyens-médiateurs dans chaque thématique.

Plus le territoire est grand, plus les données sont complexes et nécessitent une approche dédiée et temps réel. Un réseau citoyen pourrait se fonder en trois corps:
-les citoyens-veilleurs, observateurs de terrain. Ils organisent la récolte et la diffusion des données brutes, vers un autre corps, les citoyens-experts.
-les citoyens-experts, analysent et commentent les données, font émerger des problématiques, modélisent des prospectives d’évolution dans la crise climatique et la crise des ressources.
-ce sont ensuite des citoyens-médiateurs qui vulgarisent et diffusent les synthèses et leurs enjeux vers les documentations publiques, vers les espaces de médiatisation et de débat.
Il est tout-à-fait envisageable que ces citoyens soient rémunérés, sous des conditions précises de désignation, de compétences, d’éthique, mais aussi de révocabilité par des processus démocratiques.

Vulgariser les données du territoire

La réussite du processus participatif est liée à la qualité de la vulgarisation et à la qualité de la médiatisation.
Les données brutes, les synthèses, les analyses et leur vulgarisation pourraient se voir en ligne sur un portail dédié, et sur toutes sortes de médias. De plus, dans le cas de grandes densité de population, les données vulgarisées pourraient également se voir physiquement dans des Maisons du Territoire à vocation didactique: une exposition des indicateurs temps réel, accompagnée de médias pédagogiques sur leurs enjeux climatiques, économiques et sociétaux, dans les différents secteurs étudiés. Ces espaces seraient également dédiés à la visite des scolaires et universitaires, pouvant éventuellement être co-créés avec les établissements éducatifs. Il n’y a pas d’âge pour réintégrer la jeunesse dans la conscience collective de la Polis.

Ces lieux, réels et en ligne, peuvent être complémentés par des espaces de débat et de proposition, permettant de débattre des enjeux, des évolutions, des problématiques ou de tout type de suggestion issue du champ citoyen.

Les thématiques prioritaires pour la résilience d’un territoire

Chaque territoire a ses fragilités particulières en temps de crise, mais on peut distinguer deux volets principaux: les ressources, celles produites et consommées par le territoire, mais aussi, à part égale, le lien social, directement lié à la santé psychique d’une population sous contrainte.

Dans la décroissance inévitable de nos ressources, la priorité va à la résilience de ressources qui permettent de garder une cohésion sociale minimale: l’eau, l’alimentation, l’énergie, la santé, puis tous les autres secteurs. En alimentation, la plupart des grandes villes (en France) ont une autonomie extrêmement faible, inférieure à 5%, voire 2% pour les très grandes conurbations, et sont totalement dépendantes de circuits longs nationaux et internationaux. Ce sont les circuits les premiers affectés en temps de crise. Les zones rurales sont incomparablement mieux loties.

Pour le lien social, la santé sociale du territoire, il faut identifier puis monitorer de façon permanente les zones ayant besoin d’attentions particulières, afin de pouvoir les traiter rapidement avec des solutions circonstancielles, puis les transformer démocratiquement par des solutions systémiques. Cela signifie une attention particulière au processus démocratique et à son maillage citoyen. En dehors du traitement social lié à la pauvreté ou à l’exclusion, il sera essentiel de recomposer la part culturelle du lien social, afin de lutter contre les peurs et les irrationalités collectives. La culture, les événements culturels, seront au centre de cette politique de résilience psychique.

 

Nous n'avons plus le choix

Face aux crises simultanées du climat et des ressources, qui ne sont connues que superficiellement par le grand public, nous n’avons que la démocratie réelle pour réguler pacifiquement la nécessaire décroissance de la consommation. Nous n’avons que la concertation citoyenne pour organiser sans violence les changements systémiques auxquels nous ne pouvons pas échapper. Nous n’avons que l’action locale pour voir un changement s’opérer avec rapidité. Nous n’avons que nos sens, notre intelligence collective et notre culture pour faire face à l’aveuglement mortifère du système que nous avons laissé proliférer et dont nous avons tous profité. Et nous n'avons que très peu de temps.

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Pour aller plus loin

Comment des collectifs se regroupent en 2021 autour de luttes locales, sur Blast

Ecofascime ou Ecodemocratie, Latouche, 2005

Méthodes et retours d'expériences de démocratie directe en France

 

 

La crise climatique, la crise des ressources et la démocratie 1/2

, 08:09 - Lien permanent


A entendre les spécialistes du climat, les 30 prochaines années sont déjà écrites: les perturbations climatiques continueront à augmenter, en fréquence et en intensité, en raison du CO2 déjà émis que la nature n’arrive pas à résorber. Des effets d’emballement sont de plus en plus certains, bien que très difficiles à cerner, et nous emmènent vers des horizons redoutables.
Dans la même période, nous aurons à gérer la raréfaction de certaines ressources énergétiques, biologiques ou minières, indispensables au monde actuel. Il n’est pas difficile d’imaginer que cette conjonction va créer des crises profondes et complexes, avec des effets croisés pouvant nous plonger dans un état d’urgence permanent. Quelle sera la place de la démocratie dans ce début d'effondrement ?

Les événements climatiques et les pénuries de ces trois dernières années montrent que nous vivons globalement les premiers instants d’une période troublée. Dans l’actualité, on peut citer les difficultés d’approvisionnement ou les augmentations de prix drastiques dans certains secteurs:  eau, bois, sable, blé dur, puces électroniques, métaux, énergie, engrais, etc.

 

sechetaiwan.jpg, janv. 2022

Un des grands réservoirs de Taiwan à sec: pénurie de semi-conducteurs dans le monde entier !


Ces pénuries sont dues à la finitude de certaines ressources ainsi qu’à des perturbations climatiques. Citons la plus emblématique et médiatique du moment, la pénurie mondiale de semi-conducteurs. Elle est due à la sécheresse qui s'aggrave à Taiwan depuis une décennie, et impacte l’ensemble de la production mondiale de biens contenant des microprocesseurs, dont le secteur automobile et l’informatique. Sachons apprécier: produire moins d’automobiles et de numérique est un bienfait pour la planète !

 

Écologie ou barbarie rappelle-t-on souvent dans les conférences sur le climat, en citant Murray Bookchin, Bernard Charbonneau ou d’autres penseurs qui ont également évoqué l’apparition possible d’éco-fascismes. Lorsque surviennent des crises imprévisibles et soudaines - crises sanitaires, climatiques ou tectoniques- il faut sauver les populations, les infrastructures, l’économie, maintenir l’ordre. L’opinion accepte généralement des mesures très autoritaires dans le cadre d’un état d’urgence. Il ne reste que très peu de place pour des consultations démocratiques, d’autant plus que les médias sont totalement accaparés par les événements, et que les structures de débat habituelles peuvent être à l’arrêt.


De nombreuses crises sont prévisibles


En revanche, lorsque ces crises sont prévisibles, comme celles de l’alimentation, de l’énergie, de l’eau, des matériaux, ou du vieillissement des infrastructures, alors qu’on connait leur survenue et leur impact plusieurs mois, ou même plusieurs années à l’avance, il serait tout-à-fait envisageable de travailler démocratiquement sur leur gestion, et donc sur les possibilités de prévention, d’adaptation, ou de solution, voire d’évitement…

Il serait d'abord nécessaire que l'opinion soit mieux informée. Les états et les parlements ont bien des dispositifs d’analyse prospective produisant des rapports préoccupants, mais il est rare de les voir médiatiser efficacement, en dehors de commissions techniques obscures. Il est rare d’en concevoir des débats avec les élus ou la population, encore plus rare de disserter sur l’empreinte démocratique des modèles de gestion de crise associés.

En fouillant sur le web, on trouve divers scénarios prospectifs réalisés par des organismes militaires, des financiers, des organisations non gouvernementales (ONG), des scientifiques, des cercles de réflexion, des médias, ou des cabinets de conseil:

 

Ceux des militaires sont parfois très effrayants et guerriers, devant servir à la justification de la demande de moyens supplémentaires. Ils alimentent les peurs des survivalistes, très attirés par des stratégies de repli armé.
Ceux de la finance sont assez « rassuristes », évoquant parfois correctement les causes, mais sans s’attarder sur les conséquences sociétales, prétendant l’étanchéité et la solidité de leur modèle face aux crises. Ainsi, la Banque Mondiale, annonçant dans son rapport 2018 que le Sub-Sahara va voir la migration de 86 millions de personnes d’ici à 2050, en évoquant seulement une étonnante destination « interne ».
Ceux des ONG spécialisées ont naturellement tendance à ne concerner que leur domaine d’activité, même si leur conscience systémique est grande.
Les rapports scientifiques, notamment ceux du GIEC, deviennent de plus en plus scientifiquement précis, et font d’énormes efforts sur leur vulgarisation, dans une période où les sciences ont à faire face à la désinformation et à la montée de l’irrationalité. Mais l’éthique scientifique ne permet pas toujours de lier des analyses prospectives, issues d’observations, avec des conséquences sociétales ou environnementales difficilement modélisables. En simplifiant, un hydrologue peut envisager l’assèchement prochain d’un bassin aquifère à partir d’un taux de décroissance régulier observé, mais ne sera pas scientifiquement légitime pour analyser la complexité des conséquences humaines de cet assèchement.
De leur côté, les collectifs environnementaux, les cercles de réflexion écologistes, et les milieux éducatifs sont très attachés à une image positive de l’écologie, tout en connaissant l’état catastrophique de la situation. Ils médiatisent les réussites actuelles, travaillent  sur la vision d'un monde idéal, le plaçant éventuellement dans une perspective post-effondrement. Peu évoquent les caractéristiques des temps de crise et leurs conséquences démocratiques, à part peut-être les travaux de l’Institut Momentum qui travaille depuis de nombreuses années sur tous les aspects de la transition. L'association Adrastia se penche aussi sur les caractéristiques de l'effondrement. Il existe également un gros travail artistique et documentaire sur le sujet, avec des bandes dessinées, des livres et des films de fiction.
Quant aux médias grand public, en dehors d’un sensationnalisme très vendeur, qui les pousse quelquefois à effrayer le chaland (cf Séries sur l’effondrement de TF1 ou de Canal+), ils sont réticents à décrire les problèmes de ressources et de déstabilisation anthropique du climat. Étant essentiellement financés par la publicité, et donc la société de consommation, il leur est impossible de montrer que le modèle croissanciste, basé sur cette consommation à outrance, est dans une impasse.
Du côté des entreprises et des collectivités, il existe des cabinets de réflexion et de conseil travaillant sur les indicateurs actuels et les prévisions des ressources énergétiques, industrielles ou alimentaires. Ils sont très spécialisés sur certains secteurs, mais beaucoup moins diserts sur les analyses globales, encore moins qualifiés pour aborder les aspects démocratiques des crises. Leur métier est de proposer des stratégies de réduction drastique des consommations de ressources et des émissions carbonées, afin de respecter les recommandations ou les obligations réglementaires présentes ou à venir. On peut citer le tandem Shift Project/Carbone4, qui annonce de plus en plus pertinemment, et dans des milieux très variés, que si nous ne réduisons pas la voilure d’urgence, en commençant aujourd’hui, nous courons à un chaos certain et imminent.
Omerta sur les effondrements amorcés
C’est une constante dans la majorité de ces rapports, il est très rare d'y découvrir des analyses systémiques, des données sur des impacts croisés ou des rétroactions positives, encore moins sur les déséquilibres géopolitiques ou les effets sur les démocraties.  D'abord parce que ces analyses sont très complexes et très longues à mener, ce sont de vrais travaux de recherche en soi; ensuite, parce que la conclusion qui saute rapidement aux yeux est que nous assistons à diverses manifestations d'un effondrement amorcé, ce qu'il est encore très difficile, en 2021, de publier dans un rapport commandité.

Nous construisons une omerta autour de l'effondrement climatique, l'effondrement socio-économique et l'effondrement des ressources.

Cet aveuglement volontaire est un réflexe psychologique archaïque, caractéristique des sociétés humaines, pour aller de l’avant face à l’adversité.  Mais c’est aussi une volonté du système économique, médiatique et politique traditionnel, parce que la divulgation d’un effondrement imminent ou débutant remet  totalement en question différents modèles qui nous animent depuis des siècles, dont essentiellement le modèle capitaliste issu de la Révolution Industrielle.

Du positivisme béat à l'effondrisme démocratique

A l’heure où les écologistes n’arrivent toujours pas, après plus de 50 ans d'efforts, à impulser l’envie d’un changement radical de modèle par les urnes, en « vendant » pourtant un monde heureux, solidaire et dépollué, ne serait-il pas opportun de lancer le débat sur la gestion des pénuries et de leurs conséquences, autrement dit, un travail démocratique sur la décroissance subie que nous ne pourrons pas éviter ?

Hélas, dans le champ politique traditionnel, même écologiste, le débat sur la gestion des difficultés à venir n’est pas « vendeur », il est écrasé par la force psychologique d’un solutionnisme bien pratique pour flatter notre désir d’un futur heureux: la Croissance Verte, unanimement adoptée et adaptée par tous les partis, y compris par un grand nombre d’écologistes mal-informés, devient le nouveau moteur du capitalisme. Hélas, cette croissance pourrait nous emmener tout aussi rapidement, voire plus rapidement, au désastre des pénuries, tellement la consommation de ressources y est grande.

Si le champ politique, économique et institutionnel se révèle incapable, incompétent ou désarmé pour discerner les contours d’un effondrement, alors qu’il dispose de tous les indicateurs, il ne reste plus que le citoyen pour  s’emparer du sujet, mener le débat, et lancer des stratégies de résilience avec la population.

C’est en effet le citoyen qui est directement concerné, dans sa vie quotidienne, par la disponibilité future de ses ressources habituelles, notamment son alimentation, son énergie et sa santé. C’est dans cet aspect local, dans la compréhension des ressources et des enjeux territoriaux, dans leur gestion, que des solutions de résilience à portée plus systémiques peuvent émerger. Et pour cela, il faut d'abord construire des systèmes de réflexion démocratique locale efficaces, en dehors des canaux traditionnels.


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Deuxième partie: le citoyen au cœur de la résilience démocratique

 

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